Compositions sonores au musée

L’évolution des outils et des usages favorise l’expérimentation in situ du média sonore naturellement immersif et interpelle les musées quant à la place du son dans leurs scénographies.*
1_osiris0_OK.jpg

 

Diffusés dans l’espace en stéréo, en multicanal ou 3D, embarqués dans des dispositifs mobiles du type Compagnon de Visite ou augmentés, les sons au musée accompagnent la déambulation et participent de l’expérience muséographique. Le grand nombre des sources sonores, dû à l’augmentation des dispositifs multimédias, soulève aujourd’hui la question de leur cohabitation et de l’harmonisation des espaces de diffusion. Et celle-ci ne peut pas simplement se régler avec des haut-parleurs directifs.

« De nombreux paramètres influent sur la réponse sonore : l’acoustique du lieu, la contrainte temporelle, mais aussi les usages qui déterminent la directivité du matériel employé », souligne le compositeur Roland Cahen. À prendre également en compte, le caractère innovant de l’expérience, sa logistique, le coût de son exploitation… Qu’ils soient créateurs de paysages sonores et/ou concepteurs de dispositif embarqué, les designers sonores, encore rarement décisionnaires sur le choix des équipements, sont souvent amenés à composer.

 

Les paysages sonores et diffus de Life Design Sonore

Pour Alain Richon, cofondateur de LDS (Live Design System) avec le compositeur Louis Dandrel, le design sonore est partie prenante de la scénographie. Et si les visiteurs du musée ou de l’exposition ne se souviennent pas d’y avoir entendu des sons, l’objectif a été atteint : « On ne vient pas au musée pour écouter des sons comme au concert ! Le matériau sonore doit être travaillé pour cette écoute et diffusé de sorte à se fondre dans le décor. » Sonorisés par leurs soins, le tunnel de la Croix Rousse, le musée de l’Homme, le musée d’Histoire de Marseille, le musée du Clos Lucé à Amboise, l’exposition Osiris (etc.). Autant d’environnements sonores au service d’une ambiance et de la diffusion d’un contenu.

Si chaque projet est unique, leur proposition inclut souvent des transducteurs : « Ils se prêtent à la déambulation en offrant un son diffus. Et le scénographe n’a plus à se soucier du placement des haut-parleurs. » Lorsqu’il s’agit par contre de diffuser un contenu, ils ont recours aux haut-parleurs ou à des enceintes ultra-directives. Cette configuration correspond en général à une position assise et peut limiter le recours au casque qui n’est pas toujours accepté par le scénographe ou l’exploitant.

Souvent, LDS préconise, comme au musée d’Histoire de Marseille, de multiplier les points de diffusion (surtout quand les haut-parleurs déjà mis en place manquent de sensibilité) afin d’éviter d’augmenter localement l’intensité sonore. Quelle que soit leur latitude dans le choix du matériel, les designers sonores insistent toujours sur l’importance du mixage sur place, qui vient compléter celui du studio : « Les sons n’existent pas en dehors de l’endroit où ils sont placés. Le mixage permet d’obtenir le rendu sonore de la déambulation et d’éliminer les points de focalisation. »

Ayant des compétences d’acousticiens, les compositeurs, qui interviennent également sur plusieurs gares du Grand Paris Express (Pont-de-Sèvres et Noisy-le-Grand), ont une approche transversale de la scéno sonore. S’ils ont peu de marge de manœuvre sur la diffusion des messages et les consignes de sécurité, ils ont toute latitude par contre pour jouer avec l’acoustique du lieu. Au Pont-de-Sèvres, ils ont ainsi prévu de créer une ambiance sonore évolutive passant du très mat au niveau des quais à des ambiances sonores plus réverbérantes au fur et à mesure que le voyageur remonte à la surface. Des aménagements plus scénographiques comme cette cascade de lumière de Patrick Rimoux, d’une largeur de 50 mètres, mise en sons – via des transducteurs intégrés – ponctueront le parcours. « Sa composition à la couleur du lieu sera plus de l’ordre de l’aquatique et de l’allégorique que de l’écriture instrumentale. »

Parce qu’ils ne trouvaient pas sur le marché un produit réunissant à la fois une diffusion sans fil et un ampli très près du système diffusant, LDS vient d’éditer sa propre gamme de transducteurs New’ee ainsi qu’une ligne de produits comportant un fauteuil et une têtière sonores. Pas de surprise si ce nouveau système d’écoute de proximité, qui opère sans décalage entre le son et la source, interpelle en priorité le marché de la santé et des résidences pour personnes âgées (avant celui de la muséo). L’intégration d’un système binaural est à l’étude, lequel augmentera le confort d’écoute en relocalisant le son.

 

Les sons embarqués d’Orbe

« Le son 3D est un média très proche de l’écoute naturelle, ne demande aucun apprentissage et permet de se libérer des interfaces graphiques. On peut donc l’hybrider avec la perception naturelle », remarque Xavier Boissarie, fondateur de Orbe. Créée en 2009 à Paris, l’agence s’est spécialisée dans le son 3D embarqué et les médias situés liés à la marche. Pionnière dans la conception de visites audio spatialisées pour le spectacle vivant et la médiation, elle produit des contenus sonores immersifs, développe des applications et met au point des dispositifs expérimentaux comme ce « softbag » restituant par vibration des infra-basses impossibles à retransmettre de manière auditive. « Cette dimension tangible procure une sensation très forte d’immersion que les médias, visuels ou sonores, ne peuvent restituer ».

Si, en médiation, la pratique du son spatialisé recourant à des dispositifs de diffusion WFS et de géolocalisation du type UWB est encore peu fréquente, le son 3D, qui s’hybride facilement avec l’information embarquée, constitue un composant naturel pour la scénographie. « En ajoutant des niveaux différents sur la même structure, le média augmenté permet même de renouveler à peu de frais l’offre du musée, ajoute Xavier Boissarie. Le média est en effet moins lourd à produire que la vidéo, et ses infrastructures sont plus légères à mettre en place. »

Parmi les paysages sonores augmentés réalisés par Orbe, celui produit pour l’extension numérique du musée d’Histoire de Marseille vient en appui d’une réalité augmentée 3D navigable en temps réel et révèle, par le son, différentes époques de l’axe historique de la cité phocéenne. À la demande d’Alain Dupuy (Innovision), pas moins de 7 heures de sons et d’interviews (certains signés par LDS), accompagnés par une centaine de vidéos, ont été produits pour l’appli mobile. Pour le musée des Confluences à Lyon, le guide mobile (qui aurait pu être exemplaire s’il avait été mis en place) propose un parcours sonore spatialisé et transversal dans les espaces muséaux documentant des aspects peu connus comme le chantier ou les métiers du musée.

Doté d’un casque semi-ouvert et d’une carte 3D orientée, il recourt à une géolocalisation indoor de très grande précision (mise en place par PoleStar) reposant sur du Bluetooth et la centrale immersielle du mobile. Pour le musée de la Préhistoire à Quinson (ouverture 2016), le guide mobile 3D proposé avec un casque Sennheiser à infrarouge, qui se synchronise sur les bornes vidéo du parcours scénographique, inclut quant à lui une localisation à base de balises i-Beacons placées devant certains objets : « Comme le signal fluctue environ de 30 % à la sortie de la balise, il faut prévoir un algorithme de traitement de l’information. Un système de géolocalisation continue, guère plus long à mettre en place, aurait été plus adapté. »

À l’instar de ses confrères, Xavier Boissarie n’a pas toujours le choix des équipements et doit s’adapter à l’environnement donné. Prévu pour l’immense complexe muséal à Atturaif en Arabie saoudite (ouverture au printemps 2017) dédié au patrimoine vivant et immatériel (musée du Cheval, musée des Arts de vivre…), le parcours sonore ponctuellement augmenté qu’il mettra au point à la demande d’Alain Dupuy reposera sur des dispositifs légers afin de minimiser la maintenance : « Comme il y a peu d’équipement sur place, nous dépendrons des ressources du terminal mobile. Notre approche sera donc plus algorithmique et dans l’interprétation des données (via la carte 3D). » Pour que les musées disposant de budgets limités – mais de ressources techniques en interne – puissent proposer des applications mobiles à base de réalité augmentée sonore, l’agence Orbe est en train de développer, en alternative à Unity, des nouvelles plates-formes sur le web.

 

Pour une spatialisation du son

La multiplicité des sources sonores en muséo impose de reprendre la main sur leur diffusion afin de les faire jouer ensemble. Véritable cas d’école, la Cité du Vin à Bordeaux a entrepris de faire cohabiter, dans l’espace ouvert et très vaste de son exposition permanente, toutes les sources sonores in situ et les sons émis par les nombreux dispositifs vidéo. Et ce, sans leur faire perdre de lisibilité ni contraindre le visiteur dans son cheminement. Intégrés dans l’équipe de maîtrise d’œuvre (X-TU et Casson Mann), les designers sonores Roland Cahen et Sacha Gattino ont opté pour la spatialisation et le port d’un casque hyper ouvert conçu pour la réalité augmentée.

Élaboré par la société allemande Tonwelt d’après leurs spécifications (bande passante, intensité, légèreté, etc.), celui-ci permet d’écouter, dans sa langue et en synchronisation, tous les contenus diffusés sans se couper de l’extérieur. Les designers ont également multiplié les systèmes multipoints (enceintes Tektronix Elements, Tannoy…) qu’ils ont intégrés au plus près des écrans, du mobilier scénographique, voire des assises. Comme cette imposante composition vidéo, située en fin de parcours, qui combine du 2.1 dans les écrans (entre autres pour les voix) et de nombreux petits haut-parleurs placés au dos des sièges.

La construction d’une ambiance sonore spécifique, pouvant influer sur l’expérience de visite (la rendant plus légère par exemple), est le but recherché. La Cité du Vin toutefois ne doit pas faire illusion. Elle pointe du doigt les limites habituelles de l’intervention du designer sonore. Ici, les designers ont participé activement à définir l’acoustique du lieu en faisant poser des panneaux absorbants entre les poutres. Ils ont eu également un droit de regard sur la production des contenus sonores et pris en charge le casting des voix. Mais cela suppose que la maîtrise d’ouvrage soit particulièrement à l’écoute, comme elle le fut à Bordeaux.

 

Cet article est paru pour la première fois dans Sonovision #4, pp. 14-16. Soyez parmi les premiers à recevoir dès sa sortie notre magazine papier en vous abonnant ici